Les lémurs de Mayotte - un avenir ?
Polémique dans l’actualité des lémurs de Mayotte !
Nous pouvons actuellement trouver sur le web différents articles évoquant les problèmes qu’entraîne une surpopulation de lémuriens sur le nouveau 101ème département français… qu’en est- il réellement ?
Lorsque, l’année dernière, je me suis rendu à Mayotte j’ai pu observer les lémuriens présents un peu partout sur l’île, notamment autour des hôtels qui entretiennent des populations de petits primates afin d’attirer la clientèle. Ces individus peuvent même se montrer assez insistant si vous ne leur donner pas assez rapidement votre morceau de banane (fruit très riche et déconseillé aux primates en trop grande quantité).
Un "vol de banane"
Puis j’ai entendu parler d’un îlot, non loin de Grande Terre, sur lequel sont présents des centaines de lémuriens introduits par une association afin de les protéger. Cela semble honorable au premier abord… De nombreux mahorais nous disent cependant que cela est illogique puisque sur cet îlot, il n’y a pas d’eau potable ni de ressources alimentaires suffisantes pour subvenir aux besoins de cette population "lémuriesque".
Lorsque je rencontre les autorités scientifiques de la région, nous parlons de la finalisation d’un projet de création de la première Réserve Naturelle de Mayotte sur l’îlot en question…
J’avais dans l’idée de rencontrer les membres de l’association protectrice des lémuriens et de visiter l’îlot afin d’avoir leur sentiment sur le sujet (et d’écrire un article pour le bulletin de la Société Francophone de Primatologie donc je m’occupe) mais les conditions climatiques (fin de saison des pluies et restes de l’ouragan passant sur Madagascar) et le temps ne me l’on pas permit. Tant pis pour moi, je restais donc sur grande terre a faire de magnifiques randonnées.
Les lémures rodent partout aux abord des plages afin de chaparder un petit quelque chose...
Conscient des problèmes que pouvaient engendrer ces différents points de vue sur un même îlot, je ne fut pas trop surpris de constater la polémique depuis quelques semaines maintenant.
Un peu d’Histoire :
Contrairement a ce qui peut être décrit régulièrement sur des sites de vulgarisation biologique, le lémure de Mayotte n’est pas présent sur l’île depuis seulement deux siècles (ce qui pourrait alors le faire presque passer pour une espèce introduite par l’Homme et pratiquement envahissante). Les lémuriens ont en fait profité des nombreux voyages de pécheurs entre Madagascar et les Comores pour voyager clandestinement dès le Xème siècle et ainsi coloniser Mayotte depuis maintenant plus de 1000 ans. Une mâchoire subfossile de lémurien brun, datée entre le neuvième et treizième siècle, a été retrouvée sur le site archéologique de Dembeni (Liszkowski, 1997). Les lémuriens arrivés sur Mayotte font partis d’une espèce particulière : le lémur brun (Eulemur fulvus) dont plusieurs sous espèces sont reconnues. Le millénaire écoulé sur Mayotte a permis à cette population de développer des caractéristiques particulières et d’en faire une nouvelle sous-espèce : Eulemur fulvus mayottensis : le lémur brun de Mayotte, maintenant considéré comme endémique de l'île.
Cette sous espèce fut étudiée et décrite pour la première fois par Schlegel en 1866, puis par Petter et al. qui le considère en 1977 comme un intermédiaire entre le lémur brun (Eulemur fulvus fulvus) et le lémur roux (Eulemur fulvus rufus).
La dernière révision de la classification des lémuriens a élevée tous les lémuriens classés comme sous espèce de Eulemur fulvus au rang d'espèce à partir de la distinction de caractères crânio-dentaires, phénotypiques et génétiques (Groves, 2001 ; Mittermeier et coll., 2008). Par exemple : le lémur brun à front blanc (Eulemur fulvus albifrons) est devenu le lémur à front blanc (Eulemur albifrons). Toutefois la forme mahoraise est toujours considérée comme une sous espèce de lémur brun, affaire à suivre...
Situation actuelle :
Aujourd’hui, compte tenue de la déforestation et d’une urbanisation croissante sur l’ile de Mayotte, l’habitat des lémuriens (tout comme à Madagascar) disparaît progressivement à hauteur de150 hectarespar an, provoquant une chute importante des effectifs de lémuriens sauvages. Cette population a perdu la moitié de son effectif entre 1999 et 2010 et est estimée aujourd’hui à environ 21000 individus. En conséquence, les lémuriens, principalement frugivores et folivores, « pillent » les jardins et les cultures pour se nourrir, entrainant une réaction vive de la part des agriculteurs mahorais.
Face à cette situation, une association « Terre d’Asile », créée en 1997, soigne et protège les lémuriens trouvés blessés sur Grande Terre (île principale de Mayotte).
Se trouvant vite débordé par le nombre de lémuriens que des particuliers, le personnel des douanes (animaux capturés comme animaux de compagnie) ou la gendarmerie apportaient, l’association sollicita le Conseil Général de Mayotte. Celui-ci autorisa officiellement en 1998 l’association à occuper une partie d’un îlot inhabité de82 hectares: l’îlot Mbouzi, situé au nord de Mayotte entre Grande Terre et Petite Terre.
Avec l’aide des services de l’état, « Terre d’Asile » a aménagé une zone de3 hectaressur le site d’une ancienne léproserie et fut autorisé à en disposé par arrêté préfectoral. Ainsi furent aménagés une infirmerie et une réserve de nourriture pour les animaux alors que l’état finançait une embarcation afin de permettre à l’association d’effectuer des trajets quotidiens entre Grande Terre et Mbouzi pour venir nourrir les lémuriens ; l’îlot n’ayant pas assez d’arbres fruitiers.
De 1998 à 2004, « Terre d’Asile » introduit 104 lémurs bruns, issus du trafic animal ou bien recueillis blessés, sur cet îlot.
Bien que les introductions aient été plus modérées (cependant encore régulières) par la suite, la population de l’îlot a continué à se reproduire, atteignant en 2011 entre 700 et 750 animaux ! Cette population croit annuellement de 10%...
Une naissance parmi d'autres sur l'île de Mayotte
L'association Terre d'Asile devait approvisionner deux fois par jours leurs protégés en eau et nourriture puis, par la suite, une seule fois par jour pour facilité la gestion des transports. Les ressources qui permirent cette action étaient propre à l'association, aux bénévoles et à des établissements près à les aider en leur fournissant les surplus et les invendus des super marchés. Malgré tout, les denrées ainsi stockées ne correspondent que peu au régime alimentaire des lémuriens (pain, riz, bananes...) et les sodas remplaçant quelques fois l'eau n'arrangent rien. Les lémurs de l'îlot de Mbouzy pèsent ainsi en moyenne 17 % de plus pour les mâles et 28 % de plus pour les femelles que leurs cousins sauvages de Grande Terre.
Les surplus apportés par l'association alimentent également une colonie de rats, qui sont plus gros, deux fois plus nombreux et deux fois plus féconds sur cette zone et qui s'attaquent également à la faune locale (prédation sur les oiseaux nichant au sol).
Les plus de 700 lémuriens se répartissent autour des aires de nourrissages artificielles, provoquant ainsi des concentrations hors norme favorisant des épisodes parasitaires nettement supérieures à la normale.
Depuis 2002 déjà, la communauté scientifique prévient les acteurs locaux des dangers d'une gestion inadaptée des lémuriens sur Mbouzi. Elle propose également de mettre en œuvre des techniques de gestion comme, une réduction progressive de l'approvisionnement, la stérilisation ou le transfert de certains individus vers des établissements zoologiques ou éventuellement vers Grande Terre. Les solutions envisagées semblent malheureusement trop couteuses aux autorités.
En 2007, la première réserve naturelle de Mayotte est créée : la Réserve Naturelle Nationale de l'îlot Mbouzi afin de préserver des habitats forestiers de type foret sèche et des plantes remarquables de l'îlot. Cette réserve est gérée par l'association des "Naturalistes, Environnement et Patrimoine de Mayotte". Les autorités réfléchissent donc à la possibilité de limiter la présence des lémuriens sur cette nouvelle réserve et la possibilité d'euthanasier les animaux fut fortement évoquée, d'où les réactions virulentes (et certes compréhensibles) de Terre d'Asile et d'autres associations de protection des animaux. Rappelons tout de même que toutes les espèces de lémuriens sont protégées par les lois internationales.
Et maintenant ?
A partir du moment où une population animale ne peut vivre alimentairement que par l'intervention humaine sur un territoire où elle a été introduit, peut on parler de lémuriens sauvages ou vivant dans des conditions proches de leur état naturel ?
Les lémures de Mayotte pourraient plutôt être décrits comme des individus semi-captifs dans une zone naturelle dont les activités et le budget temps pourraient être comparés à ceux des animaux en parcs zoologiques.
Les objectifs de l'association "Terre d'Asile" sont louables mais peut être aurait-il pu être envisagé dès le départ de stériliser nombre d'individus afin de limiter la croissance de leur population.
Certes les voyages organisés sur l'îlot, incluant la traversée et la visite, représentent une source de revenus à l'association mais j'ai ressenti comme un monopole de Terre d'Asile sur ces visites. Je comprends que des visites non organisées et "sauvages" puissent être dommageables pour l'équilibre environnemental de l'îlot mais cette marque de propriété sur celui-ci par l'association lève des réactions négatives de la part des mahorais.
Les autorités régionales, de leur côté, qui aujourd'hui récriminent "Terre d'Asile" de leur manque de gestion d'effectifs, ont profité des actions de l'association et l'a même régulièrement sollicité.
Il semble inconcevable de n'évoquer qu'une solution d'euthanasie, privilégiée par le Ministère :
- la communauté scientifique estime que 150 lémuriens pourraient vivre sur l'îlot de Mbouzi sans approvisionnement humain.
- l'ilot de Mbouzy pourrait devenir un centre d'étude des lémuriens privilégié par la facilité d'observation des animaux,
- le transfert des certains individus pourraient être envisagé vers des établissements zoologiques. La communauté francophone a déjà été contactée ; les enclos adaptés à de tels animaux ne sont malheureusement pas nombreux.
La réintroduction des ces animaux sur Grande Terre demeure malheureusement impossible à moyen terme, les problèmes de déforestations n'étant pas encore réglés.
Je continuerais à présenter les avancées du projet Lémurs de Mayotte dans ces pages...
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